Les riches heures du temps qui passe
30 cm. SM/Arc-en-ciel 30 593 1974

textes
et musiques BH sauf indications
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Je n'ai plus aucune nouvelle
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Le temps passe
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L'écume
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Le chardon
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Ma province
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Boulangerie (texte
BH - sur une musique de Bernard Gérard)
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Par le ventre
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Voilà la vie
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Les heures riches
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Ma femme
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Ne faut pas croire au temps qui passe
1. Je n'ai plus aucune nouvelle 
Paroles et
musique
Bernard Haillant
mars 1968
et novembre
1972
1
Je n’ai plus
aucune nouvelle,
Vendange
d’eau, vive étincelle,
Je n’ai plus
aucune nouvelle,
Dieu seul
sait où tu vas,
Dieu seul
sait où tu vas, ma vie ;
Quelle envie
peut être la tienne,
Pulpe de
pêche, chaude laine,
Quelle peur
peut être la tienne,
Dans ce monde
nouveau,
Dans ce monde
nouveau, ma vie ;
Ta fraîcheur
s’est-elle envolée,
Racine d’or,
frêle rosée,
Ta candeur
s’est-elle envolée,
Au vent
mauvais d’ennui,
Au vent
mauvais d’ennui, ma vie ;
Serais-tu
courbée par la peine,
Verger
fertile, sève de chêne,
Serais-tu
brisée par la haine,
Serais-tu
décédée, ma vie.
2
Qui vois-tu,
qui fréquentes-tu,
Torrent
sauvage, aube têtue,
Qui te
retient, qui aimes-tu
Que je ne
connais point,
Que je ne
connais point, ma vie ;
Aurais-tu
lapidé mes chants,
Feuillage
lourd, joyeuses dents,
Aurais-tu
renié mes chants
Pour d’autres
longs couplets,
Pour d’autres
longs couplets, ma vie ;
Es-tu de trop
brève gaieté,
Épaule ronde,
âme étonnée,
Fais-tu de
folles équipées,
Vas-tu de
nuits en nuits,
Vas-tu de
nuits en nuits, ma vie ;
Je ne sais
rien de tout cela,
Ruisseau de
lait, rauques abois,
Mais je sais
trop l’étrange voix
Qui s’en
vient me troubler, ma vie.

2. Le temps passe
Paroles et
musique
Bernard Haillant
25 juin
1970
1
Le temps
passe, et je ne vois rien venir,
Les saisons
n’ont plus cours
Dans le jeu
des amours
Et ma fille,
ma fille
Sait-elle
encor’ les fleurs…
Le temps
passe, et je dois bien me maudire,
Les eaux se
sont taries
Aux lèvres
réunies
Et ma fille,
ma fille
Sait-elle
encor’ les pleurs…
Le temps
passe, passe, passe
Et on laisse
aller l’oiseau de guerre lasse
Car la vie va
plus loin
Que les pieds
et les poings
Quand ma
fille, ma fille
A délié les
siens…
2
Le temps
passe, femme, il vaudrait mieux mourir
L’est partie
la marée
Désertant nos
jetées
Notre fille,
notre fille
A sa barque
lancé…
Le temps
passe, femme, je ne vois rien venir
Car les
soleils s’éteignent
Dans les yeux
qui se plaignent
Mais nos
vies, nos deux vies
Qui n’y
voient plus très bien,
Mais nos
vies, nos deux vies
Ont
encor’ du chemin…

3. L'écume
Paroles et
musique
Bernard Haillant
26
septembre 1969 et
août 1971
1
Par l’écume
des fables
Où fermente
la bière,
Les rosaces
De l’Alsace
Éclaboussent
les pierres ;
Par l’écume
des tables
Les nappes
sont tissées,
Bel ouvrage,
Doux
présage :
Les nappes
sont tissées.
2
Sous l’écume
de l’âge
Tes cheveux
ont blanchi :
Qui s’étonne
Qu’à l’automne
Les pommes
soient mûries ?
Sous l’écume
des pages
Le poète a
souri,
Bel ouvrage,
Doux
présage :
Le poète a
souri.
3
À l’écume des
gestes
La danse a
pris le pas,
Et
s’embrassent
Les rosaces
Engerbées à
nos doigts ;
Et l’écume
qui reste
Lentement se
consume,
Éphémère,
Va la terre
Jusqu’aux
sources d’écume.

4. Le chardon
Paroles et
musique
Bernard Haillant
9 octobre
1967
Une fleur de
chardon des Alpes,
Une fleur de
chardon bleu.
1
Fleur de
neiges et de glaces,
Fleur de
givre, fleur d’acier,
Soleil
déchiré, en châsse
Dans le métal
d’un glacier ;
Fleur de
griffes et de piques,
Fleur
d’immortelle défense,
Fleur au cœur
énigmatique
Et de fière
intransigeance,
Froide, mais
belle (bis)
Elle annonce
l’hiver…
Une fleur de
chardon des Alpes,
Une fleur de
chardon bleu.
2
Toi, mon
aimable chardon
Ardent pour
porter cuirasse,
Ma dentelle
de glaçons,
Ma neige, ma
mer de glace,
Mais, hélas,
fiel de ma plaie,
Fleur de
piqu’, fatale reine,
De quels feux
dois-je brûler
Pour dégivrer
ton haleine ?
coda
Belle, mais
froide (bis)
Tu
m’engendres l’hiver,
Belle, mais
froide (bis)
Quand
finira l’hiver ?

5.
Ma province 
Paroles et
musique
Bernard Haillant
28 février
1967 et
mai 1973
1
A
Ses jambes
sont des ponts
D’arabesques
couchées,
Chair et
marbre veinés
De reflets
bleus et blonds,
Reposant où
se creusent
Deux reins
souples, dociles
Comme sillons
fertiles
Dans une
terre heureuse ;
B
Entre eux,
c’est l’horizon
Et large, et
chaud, et lisse,
Fier de la
cicatrice
Qui lui donna
un nom,
De ses
coteaux qui tissent,
De vignes de
caresses,
Ce ventre où
nos promesses
Aux
vendanges, mûrissent ;
C
Et là, dômes
prospères,
Palpitantes
merveilles
Où le ferment
sommeille,
Deux silos de
mystères,
Seins de
miel, peau légère
Émue où bat
le cœur,
Et gonflée de
bonheur,
De sève
nourricière ;
2
A
Il en naît
une gorge
Évasée de se
tendre
Aux confins
de méandres
Qu’épaule,
aisselle forgent,
Avant que
d’arriver
Au surplomb
qui défend
Ce verger
rose et blanc,
Lèvres et
fruits donnés ;
B
Et puis, pour
me baigner,
Deux lacs
bordés de joncs,
Si purs et si
profonds
Qu’on hésite
à plonger,
Noirs comme
la forêt
Qui, de
franges, recouvre
Tempes et
front, et s’ouvre
Au souffle
d’un baiser ;
C
J’oubliais,
par des fleurs,
Par des
saules caché,
Jalousement
gardé,
Un puits,
soif et fraîcheur,
Qui s’exalte
à la pluie,
Draine les
forces vives
De l’une à
l’autre rive,
Et fait
jaillir la vie ;
coda
Je suis un
jeune prince
Qui a bien de
la joie
Quand, la
première fois,
Il parcourt
sa province.

6. Boulangerie
Texte de
Bernard
Haillant
Musique
extraite de
« 3 pièces pour flûte seule »
de Bernard
Gérard
30 avril
1969
Ils naissent
dans des fours
Les petits
fœtus !
Et quand ils
sont à point
Lorsqu’ils
sont bien dorés,
Un’ espèce de
boulanger
Vêtu de blouse
blanche
Un petit
chapeau blanc sur chauve crâne
Un masque
blanc sur le visage
Et les mains
gantées de caoutchouc,
Un’ espèce de
boulanger
Les retire du
four avec une grande pelle,
Les enfarine
et les pomponne
Puis,
Les place sur
l’étalage.
C’est chez
lui
Chez ce drôle
de boulanger
Que les
parents,
En quête de
progéniture,
Se pressent
le dimanche
Au sortir de
grand-messe
Entre
fleuriste et pâtissier
Entre
bénitier et vin cuit
Et, d’un œil
indécis,
Choisissent :
Sera-ce un
petit gros,
Un grand
maigre
Un bâtard
Ou sera-t-il
Ficelle ?
S’ils se
réjouissent,
Les parents
de ce temps,
C’est qu’ils
sont libres
Et
responsables !
Pour un
demi-franc
Ils
l’emportent bien emballé
Dans des
langes de papier de soie
Et le
déballent en leur foyer.
« On a
souvent besoin de petit pain chez soi »
Enseignait
grand-maman !
Et, quand
bouge le petit,
Blond et rose
à ravir,
Le regard
attendri
Pépé et Mémé
disent :
« C’est
qu’on en mangerait ! »
Aux petits
enfants
Qui demandent
comment ils viennent au monde
Des
éducateurs
– Diplômés –
Répondent :
« Les
enfants gonflent dans des fours. »
Mais
d’ajouter
Pour la
petite histoire :
« Sachez
qu’autrefois
On disait aux
petits enfants
Qu’ils
prenaient vie dans des roses
Ou encore
Dans des
choux ;
Certains même
disaient
– Mais
c’était pas très sérieux –
Qu’ils
sortaient du ventre de leur mère… »

7. Par le
ventre
Paroles et
musique
Bernard Haillant
30 avril
1969
1
Ils sont
couverts de sel,
couverts
d’algues marines,
tout
ruisselant de mer,
tout
dégouttant de sang ;
ils ont des
cris de loups,
des effrois
de sirènes,
des rides de
grands-pères
et des yeux
de mendiants.
Et ils sont
enchaînés
par le
ventre.
2
Ils ont du
vert-de-gris
aux
commissures des lèvres,
et des
cheveux gluants
sur un crâne
tout mou ;
ébauchant
leurs moignons
qu’on voit
presque palmés,
n’entendant
rien à rien
ils
s’étranglent à vivre.
Ils étaient
enchaînés
par le
ventre.
3
Ils
pressentent au dehors
du brouillard
qu’ils habitent,
des appels,
des saveurs
qu’ils
tossent à tâtons ;
puis bouclés
dans leurs langes,
ils rêveront
aux anges
qui leur font
chaud le corps
quand ils
sont rassasiés.
Les voilà
enchaînés
par le
ventre.
8.
Voilà la vie 
Paroles et
musique
Bernard Haillant
janvier
1969
1
La vie,
qu’est-ce que la vie ?
Un hâle
acquis à grande peine
Aux premiers
froids vite parti !
Neuf mois
d’angoisses et de gênes
Pour un
cancer qui pisse au lit,
La vie, c’est
ça la vie ?
Ce pari
d’absurde cadence,
Ce coup de
feu sur la colombe,
Ce mensonge
avant le silence,
Ce songe
avant la froide tombe,
2
La vie,
qu’est-ce que la vie ?
C’est quinze
heures de boulot par jour
Et puis les
deux pieds sous la table ;
Le sas où
l’on compte à rebours
Avant le
grand saut misérable,
La vie, c’est
ça la vie ?
Ce sont les
rires avortés
Quand les
sirènes font ripaille,
Quand volent
trop bas les pavés
Au cœur
d’étranges relevailles,
3
La vie,
qu’est-ce que la vie ?
Des années
pour qu’un soir enfin
La vague de
l’amour me batte ;
Et puis la
voilà déjà loin,
Elle me
glisse entre les pattes !
La vie, c’est
ça la vie ?
coda
Réponds, toi
qui de toi me sèvres,
Toi qui jetas
l’ancre à mes reins,
Toi qui
m’accostas de tes lèvres
Pour me
lâcher au premier grain !
La vie,
qu’est-ce que la vie ?
Ce m’est
survivre en me leurrant
Sur le
bouquet d’un vin sans flamme ;
C’est croire
en d’utopiques temps
Où l’enfant
naîtrait de la femme,
La femme
naîtrait du printemps
Et le
printemps d’un vœu de l’âme.
Et puis, voilà
la Vie…

9. Les
heures riches
Paroles et
musique
Bernard Haillant
23
septembre 1969
1
Les gazelles
s’ébattent aux vasques des fontaines,
Paysans et
seigneurs
Ont les
poings sur le cœur ;
La brume des
vallées inquiète Marie-Reine,
Quinze
moissons déjà,
Ça fait bien
du tracas !
Hommes,
Que
l’attardée surprend en friches,
Jalousez
l’angoisse des manants
Aux heures
riches. (bis)
Hommes !
2
Qui saurait
de la terre les hymnes souterraines,
Tranquille, à
la male heure,
Rentrerait du
labeur ;
Mais toi, mon
accordée, tes flancs creux ont la peine
Du cœur de
Marie-Reine
Quand la lune
est trop pleine.
Hommes,
Que la nuitée
surprend en friches,
Jalousez
l’angoisse des manants
Aux heures
riches. (bis)
Hommes !
3
Les hauts
plateaux de l’est ont l’œil rond des pelouses,
Aux rendez-vous
des fées
Baptiste
s’est signé ;
La serre
chaude est prête en ton ventre d’épouse,
Jardinier du
serment
J’y planterai
l’enfant.
Hommes,
Qui
laisseriez terres en friches,
Jalousez
l’angoisse des manants
Aux heures
riches. (bis)
10. Ma femme 
Paroles et
musique
Bernard Haillant
3 janvier
1968
1
Ma femme, ma
femme,
Mot si doux à
entendre,
Éreintant de
me tendre
Jusque le
fond du corps ;
Ma femme, ma
femme,
Nom
tressaillant de terre,
D’entrailles
familières,
De destin qui
me mord,
Ma femme, ma
femme,
Une roche
brûlante
Bon gré,
maugré tenante
À la falaise
nue,
Ma femme, ma
femme,
Une chapelle
ardente,
Croix de
chair bouleversante
Qui m’ouvre
le salut.
2
Ma femme, ma
femme,
Des querelles
qui sanglent,
Des
« pardons » qui s’étranglent
Mais l’amour
prend racine,
Ma femme, ma
femme,
Aux vents
créant fortunes,
Aux soleils
contre dunes
Frappés sur
ma poitrine,
Ma femme, ma
femme,
No man’s land
sans frontières,
Enclave entre
nos guerres
Vaincues pour
s’accoupler,
Ma femme, ma
femme,
Passerelle
fragile
Où il faut
être habile
Pour vivre
sans tomber.
3
Ma femme, ma
femme,
Un mot qui ne
ressemble
À rien,
puisqu’il m’éventre
Un rêve qui
n’est pas,
Ma femme, ma
femme,
Un nom auquel
je tremble,
M’écorchant
cœur et membres
Puisque tu
n’en veux pas.
11. Ne faut pas
croire au temps qui passe

Paroles et
musique
Bernard Haillant
1968 et
mai 1973
texte
Sans toi,
bien sûr, je pouvais vivre
Et je l’ai
pu, c’est mon chagrin,
Comme on peut
vivre par un livre,
Mais tous les
livres ont une fin ;
Lors, après
la dernière page…
chanson
1
Ne faut pas
croire au temps qui passe,
– Qu’est-ce
donc, une année enfuie ? –
Les jours ne
laissent pas de traces
Dès qu’on a
le bonheur saisi ;
Voici qu’à
présent je t’enlace,
L’horloge
sonne l’éternité,
Moi qui avais
de guerre lasse,
De cet amour,
désespéré.
Ne faut pas
croire au temps qui passe,
– Qu’est-ce
donc, dix années enfuies ? –
Les jours ne
laissent pas de traces,
Mon amour… ni
regrets.
2
Non, le temps
ne fait pas vieillesse,
Tiens, le
réveil s’est endormi,
Je m’en vais dénouer
tes tresses
Puisque le
jour reste en son nid ;
Ne faut pas
croire au temps qui passe,
Tu es
toujours aussi jolie,
À peine
juillet qui s’efface,
Plus doux est
devenu le fruit ;
coda
Non, faut pas
croire qu’on se tasse
Pour si peu
que quelques saisons,
Je peux te
regarder en face,
Mon amour…
sans regrets.
(PRÉSENCE)
Texte
figurant sur la pochette
Voilà,
Je
n’ai plus
de poésie.
C’est
tout.
Je
peux
laisser ma plume.
Tes
lèvres
volètent sur mon doigt taché d’encre,
C’est
fait,
Voilà.
C’est
tout.
C’est
tout
plein de papillons,
D’ailes
de
papillons
Ici
Qui
décrivent
les rondes
Que
tant j’ai
cherché
À
écrire.
PRÉSENCE.
Nul
besoin de
mendier quelques miettes éparses d’un sourire,
Nul
besoin de
les garder comme une hostie,
Nul
besoin de
dresser ma table
Nul
besoin
Tu
es là.
Ah !
Ces
piètres repas au nom de ventre-creux,
Ces
alchimies
pensives…
Et
je croyais
te réussir !
Sauce
d’absence
a goût de blasphème…
Hélas,
c’était
blasphème !
J’ai
menti.
Je
dois
laisser ces vieux brouillons,
Je
dois
laisser ma plume libre,
Vole,
vole…
Par
quel
détour inconnu
M’es-tu
venue ?
Tu
es là,
J’ai
toute
poésie.
« Présence »
25 septembre 1969