Des mots chair, des mots sang

Grand Prix de l'Académie Charles Cros 1982

30 cm. SM/Arc-en-ciel 1981

 

  1. Quand je serai heureux

  2. Chanson à refaire écouter un extrait

  3. L'oiseau qui d'un coup fend la nuit  écouter un extrait

  4. La tête de ma fille écouter un extrait

  5. Lettre d'une petite écolière à son ancienne institutrice 

  6. La p'tite fille du cinquième  

  7. La vie, l'amour, la mort  écouter un extrait

  8. Mon étrangère écouter un extrait

  9. On s'est trompé

  10. François

  11. Je vis en négritude écouter un extrait

  12. François et les autres

 

1. Quand je serai heureux

Texte de Bernard Haillant
fin 1980 et début 1981
 
Quand je serai heureux,
vraiment heureux,
ce sont des chansons comme celle-ci
que je vous offrirai.
Oh non,
pas des chansons avec les mots d’une autre langue,
si belle soit-elle,
qu’il me faudrait encore apprendre,
non !
Quand je serai entré en bonheur,
vraiment bonheur,
de ce bonheur-là qui n’ fleurit
que si chacun en a sa part,
et plus que sa part,
s’il le désire,
en ce jour tendresse
j’aurai des mots
cri,
appel, besoin,
contentement, satisfaction,
tout comme au premier temps de l’homme,
au temps premier de la parole,
lorsqu’elle était nomade encore,
et vivante et sauvage,
passage et transhumance,
– libre –
avant qu’elle n’ait vendu son âme ;
avant qu’elle ne devienne obstacle,
drapeau, frontière ;
avant qu’elle ne se mette en rang,
alphabétiquement,
sur des pages autrefois blanches…
Pauvre parole,
muselée, bafouée, dévitalisée, déshumanisée,
désenchantée !
Oh, si jamais un jour j’étais vraiment heureux
je vous enchanterais les mots,
je vous les ferais pousser sur des arbres de musique,
je vous les cueillerais,
les mots,
comme des fruits en saison de pleine saveur,
goûtez-les :
mots musique, parfum, odeur,
couleur, bonheur,
mots bouche à bouche.
Mots toucher.
Un jour,
j’inventerai des mots chair, des mots sang.
Un jour,
j’aurai les mots du ventre…
 
Seulement voilà,
mes mots sont ordinaires,
ils sont tout droit sortis du dictionnaire
et quant au bonheur…
 
Bon, allez, musique !

 

2.
Chanson à refaire 
écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
avril 1978
 
1
Chanson tête en l’air
Chanson à tort et à travers
Chanson les pieds dans l’ plat
Chanson dans d’ beaux draps !
 
Chanson sans commentaire
Chanson qu’est pas dans l’annuaire
Chanson sans parti pris
Prise en flagrant délire
 
refrain
 
CHANSON À REFAIRE
CHANSON PRESQUE SINCÈRE
CHANSON QU’A PEUR DE VOUS
 
CHANSON À REFAIRE
CHANSON POUR PAS SE TAIRE
CHANSON BESOIN DE VOUS…
 
2
Chanson les doigts dans l’ nez
Chanson qui r’garde sans traverser
Chanson d’mi-pensionnaire
Chanson qu’a tant b’soin d’air
 
Chanson poisson d’avril
Qui d’vrait pas s’ découvrir d’un fil
Chanson qu’a du talent
Mais qui ment effrontément !
 
3
Chanson purgatoire
Chanson putain, chanson trottoir
Chanson de p’tit’ vertu
Chanson qui montr’, oh non, chanson qui n’en peut plus
 
Chanson en quarantaine
Chanson malade, en manque d’antenne
Chanson moitié cinglée
À prendre ou à blesser
 
4
Chanson pour qu’on soit frère
Chanson qui veut payer son verre
Chanson poignée de main
Chanson pour qu’on soit bien
 
Chanson toujours la même
Qui saura jamais dire : je t’aime
Chanson sans prix d’honneur
Chanson, allez m’sieurs-dames, chanson à vot’ bon cœur
 
dernier refrain
 
CHANSON À REFAIRE
CHANSON PRESQUE TROP SINCÈRE
CHANSON QU’A PEUR DE VOUS
 
CHANSON À REFAIRE
CHANSON POUR PAS ME TAIRE
CHANSON BESOIN DE VOUS…


3.
L'oiseau qui d'un coup fend la nuit
écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
23 octobre 1968, mars 1976 et janvier 1977
 
Encor la terre grasse s’entrouvre aux pas
Que mes doigts dirigent sur tes sentes bleues,
Encor tu es prête et souhaites mon poids
Et le vent se lève et bascule les cieux ;
 
Mêlés comme taillis aux feuillages lourds,
Encor surpris et courbés sous l’ouragan,
Encor l’unique ombre qu’un frisson parcourt
Roule à grands baisers dans les draps de lin blanc ;
 
Mords encor, ma gazelle blanche, je baise
Ta mamelle clair de lune apaisée,
Encor l’ombre rauque dans son nid de glaise
Caresse l’oiseau aux plumes de rosée,
 
L’oiseau qui d’un coup fend la nuit,
L’aube tout accrochée à lui…



4.
La tête de ma fille
écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
paroles 12 mars 1968 et janvier 1978
musique janvier 1978
 
La tête de ma fille rêve au sein d’épis mûrs
que le vent fait vibrer comme de douces harpes ;
 
ma fille a des pouvoirs si subtils en ses yeux
qu’ils nous changent en dieu, en pâtre et en eau bleue ;
 
ma fille a les narines ouvertes aux grands
larges, et respire à poitrine soulevée ;
 
ma fille a sur la bouche les frais oasis
qu’on cherche en plein désert lorsque coule le plomb.
 
 
Ma fille a la gorge comme une tour étrange
d’où s’échappent colères, rires et insolences ;
 
mains et bras de ma fille, petites fesses rondes
sentent bon la caresse avant qu’elle s’y pose ;
 
ma fille a sur le corps une trace de glaise
où repose un cocon qui l’éclora en femme ;
 
ma fille s’éveille, bâille, se tend, tourbillonne,
ma fille pousse plus dru que du chiendent tenace.
 
 
Ma fille, elle me cogne aux tempes et aux lèvres,
ma fille, elle déchire en riant nos habits,
 
oui, ta fille, elle grouille entre tes cuisses blanches
et te jette en mes bras et chahute en mon ventre ;
 
ta fille, elle nous presse déjà bouche à bouche
et fait fleurir ton sexe et butiner le mien,
 
 
et voici notre fille…
 
 
Sous ta frêle toison, déjà elle s’amuse :
quand j’y pose l’oreille elle frappe trois coups !



5.
Lettre d'une petite écolière à son ancienne instritutrice

Lettre écrite par Danielle NICOLAS, de Jussy (Moselle), lorsqu’elle allait vers ses dix ans.
juin 1968
 
Chère Mademoiselle,
 
Comme vous n’êtes pas venue à Jussy depuis longtemps,
je vous écris une petite lettre.
Mais il faut que je vous parle de mes bêtes.
Le coq était très gros,
et nous l’avons mangé à ma communion.
Ma petite chatte a fait trois petits chatons.
Mais deux sont morts.
Aussi il n’en reste qu’un mais il est très beau.
Quand nous sommes allés faire nos achats de communion,
j’ai vu des petits poissons rouges.
J’ai demandé à papa s’il voulait m’en acheter,
il m’a dit oui et m’en a acheté quatre.
Mais il y en a deux qui sont morts,
car il n’y avait pas assez de place dans l’aquarium.
Je vous envoie une image de ma communion
faite le 23 mai dans l’église de Jussy.
Maintenant,
Mademoiselle,
je vous embrasse bien fort,
ainsi que mon frère.



6.
La p'tite fille du cinquième 

Paroles Michel Boutet - Musique Bernard Haillant
paroles 1979
musique 1980
 
La p’tite fille
du cinquième
a été enfermée
l’ a mis l’ feu
aux cheveux
d’ sa poupée
et comme il a dit mon papa
il faut pas être bien pour faire ça.
 
La p’tite fille
du cinquième
va jamais
à l’école
il paraît
qu’elle est folle
c’est tout’ seule qu’en riant tout bas
elle joue à tu m’attrap’ras pas.
 
La p’tite fille
du cinquième
elle a dit
quand j’ s’rai grande
je n’ serai
pas maman
ni marchande
je s’rai une vague ou un chat
je s’rai l’eau d’ Cologne à papa.
 
La p’tite fille
du cinquième
la p’tite fille
du cinquième
avait un joli rire
sur son ventre
y avait comme un’ tirelire
c’était doux d’ caresser autour
quand on s’ cachait dans l’ fond d’ la cour.
 
La p’tite fille
du cinquième
a été enfermée
l’ a mis l’ feu
aux cheveux
de sa poupée.



7.
La vie, l'amour, la mort écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
vers 1975
 
1
Il y a du blé, de l’or, du vin de palme
Et ces rivières où s’endort le diamant ;
Dansent les vents, les soleils, les eaux calmes
Et ces grands feux plus beaux qu’à la Saint-Jean.
 
Il y a l’enclos où poussent les étoffes,
Le fil de mai et la trame du temps,
Et vont les voiles aux épaules qui s’offrent
S’y pendre et tendre leurs plis indécents.
 
Y a des jeunesses aux poitrines de pomme
Et d’éternelles vieillesses saillies,
Mêmes cris aux crocs des bêtes et des hommes
Et mille fois recommencée la vie.
 
refrain
Découvre-toi (bis)
Mon inconnu,
Où es-tu ?
Je te cherche,
Montre-toi !
Aide-moi à briser la glace,
J’ai froid,
Si froid,
Je suis dans l’impasse
D’une vie dégueulasse,
Ouvre-moi (bis)
Ton pays de passe,
L’inconnu,
Je serai de ta race,
La race des fous
D’amour,
J’ai froid,
J’ai lourd
Et j’ai tant marché,
Laisse-moi entrer !
 
2
Et quand il pleut c’est aux vulves vivaces
Et nos enfants s’y ébrouent en riant,
Saigne l’éclair, saigne au sexe l’espace
Jusqu’à frôler leur cœur en frissonnant.
 
Alors tam-tams, tambours claquent les flaques
En gerbes vives d’amants enlacés,
La danse y sculpte ses torches de Pâques
Et vient jouir à nu ressuscitée.
 
Y a des sueurs qui suintent à corps fendre
Et des audaces à bander nuit et jour,
Y a des péchés que l’on croque à plein ventre
Et mille fois recommencé l’amour.
 
3
Et tu verras qu’on se bat, ma parole,
Pour se moquer de nos vieilles idées,
Ça fait des morts mais disons qu’on rigole,
Car au linceul on cueille un nouveau-né.
 
Lors une femme se lève et se nomme
Et dit : « Mon sein à çui-là j’ vais donner,
Car y a du lait qui me monte et toi, l’homme,
Tends-moi l’enfant qu’il y vienne goûter. »
 
C’est de nouveau la fête, la sauvage,
Bien sûr il pleut, y a du blé, y a de l’or,
Y a des chansons, des péchés, des mouillages
Et mille fois recommencée la mort !

 

8.
Mon étrangère écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
texte les 4 avril et 2 mai 1969
revu et corrigé et mis en musique en mars 1976 et janvier 1977
 
On s’est foutu tout nu
comme on se fout à table
comme on va à confesse,
 
de secousse en secousse,
de morsure en morsure
on s’est foutu tout nu,
peau à peau, poil à poil,
 
des fleurs entre les doigts
on décrochait l’ennui
de chaque pli du corps,
peau à peau, poil à poil
à chaque pli du corps,
 
et dans l’herbe arrachée
à pleines mains crispées
s’échappaient des grenouilles,
et la large auréole
brunette de ton sein
brillait dans les épis,
 
et la large auréole
brunette de ton sein
jetait ses farandoles
au plein ciel de mes mains,
 
et ce téton si dur
mordillé à la belle
dans le vent de mâture…
 
nos cuisses enlacées,
nos sexes embrassés
entre vents et marées,
est-il plus beau voyage ?
 
la vague sur ton ventre
s’écrase et se soupire
et s’y brise et rugit
aux cris des goélands
échappés de tes antres,
 
là-bas sont les falaises,
sont jaunes des ajoncs
tout blanchis d’aubépine
qui renâclent si bon
aux traits des goélands
échappés de tes antres,
 
sur les parvis déserts
le vent fait la poussière,
et sens-tu sous tes reins
que bois mort s’est brisé,
 
où sont tes lourds chariots
de plaintes et de chants
charriant les étoiles…
 
ô toi, mon étrangère,
toi que je n’aimais pas,
ou que j’aimais, qu’en sais-je,
toi qui rien ne changeas
de tous mes sortilèges,
toi, serais-tu changée ?

 

9.
On s'est trompé 

Texte de Bernard Haillant
texte à origine improvisée à partir de février 1979
 
Pardonnez-moi si je vous fais de la peine
en vous disant qu’on ne vit pas dans un monde fantastique,
dans une époque prodigieuse ;
que tout ça c’est des conneries,
qu’on s’est trompé
ou qu’on nous a trompés,
je ne sais pas exactement…
Ah ! voyez-vous, c’est bête,
parce que, justement, le jour où j’ai pensé ça,
c’est justement un jour où j’avais l’impression qu’il y avait
comme une porte qui était entrouverte.
Et y avait qu’à pousser la porte
et sortir dehors,
et dehors il faisait bon,
il faisait doux,
c’était un temps à se mettre tout nu,
sans que ça pose de problème,
sans qu’on ait honte,
sans que ce soit de la provocation,
sans qu’on vous montre du doigt,
simplement parce que ça ferait du bien…
Alors, vous pensez,
j’ai poussé la porte,
je suis sorti dehors
et là,
j’ai commencé à retirer le premier bouton de ma chemise…
Mais j’ai bien vite arrêté,
j’ai bien senti qu’il ne faisait pas très chaud,
qu’il y avait comme une erreur
sur le dépliant touristique !
qu’il faisait un drôle de temps,
un temps un petit peu comme une femme qui attendrait un enfant,
et cet enfant,
elle le désirerait vraiment,
mais un drôle de temps,
parce que cet enfant y pourrait pas naître.
Et pourtant,
toutes les nuits,
elle se réveille
au cri-silence
de son enfant qu’a faim,
au cri-silence
de son enfant qu’a soif.
Alors,
j’ai bien compris
que c’était un temps à pas mettre un espoir dehors,
un temps à rester con
(un peu plus, un peu moins…).
Tu rentres chez toi,
tu te recroquevilles tout près du téléphone
(si t’as la chance d’avoir le téléphone !),
et comme c’est un temps à décrocher,
qu’il faut toujours décrocher au bon moment,
eh bien là,
au hasard,
sur le cadran,
avec ton doigt,
avec ton sexe,
avec n’importe quoi, enfin,
avec ce qui te tombe sous la main
(tu pares au plus pressé…),
tu composes un numéro.
De deux choses l’une :
soit ça répond, soit ça répond pas !
Si ça répond pas,
de toutes façons c’est trop tard.
Si ça répond,
tu demandes qu’on vienne vite,
et pour prouver que t’as encore ta tête à toi,
tu donnes ton adresse,
on ne sait jamais !
Et là, de deux choses l’une :
soit on vient, soit on vient pas !
Si on vient pas,
de toutes façons c’est foutu.
Si on vient,
tu commences par être poli
(montrer que tu as une bonne éducation) :
« C’est gentil d’être venu,
mais je ne vois pas bien pourquoi vous êtes venu jusqu’ici,
vu que ça va pas plus mal qu’ailleurs,
vu que c’est le monde qui va mal,
qui va vraiment très mal.
C’est pas la peine de sortir votre trousse à outils,
docteur,
cherchez pas !
C’est la tête,
c’est le cœur,
c’est le corps,
ça s’est mis partout,
ça s’insinue par tous les bouts,
y a plus qu’à le foutre au trou ».

 

10.
François

Paroles et musique Bernard Haillant
printemps 1981
 
On a bien de la chance
Dans not’ pays de France
Et dans les aut’ pays d’ailleurs
Qui sont du genr’ du nôtre,
Et mêm’ ceux qui diffèrent
Sont d’jà presque nos frères :
Si z’ ont pas la mêm’ couleur de peau
Y z’ ont les mêm’s autos ;
Soit, ce n’est qu’une image,
Il en faut davantage
Pour qu’on soit à la même enseigne,
Pour qu’ l’égalité règne,
Mais faut-il vous redire
Que, tribus ou empires,
Où qu’ ce soit sur not’ bonn’ vieill’ terre
On a tous fait la guerre !
C’ qui prouv’ qu’on a des poings communs,
On s’ les fout sur la gueule !
 
Gueule,
Pour que la liberté soit enfin libérée,
Ça y est je suis d’venu un chanteur engagé…
 
On a bien de la France
Dans not’ pays de chance
Et dans les aut’ pays du nôtre
Qui sont du genr’ d’ailleurs,
Et mêm’ ceux qui diffèrent
Sont d’jà presque nos frères :
La preuve ils ont aussi leurs riches
Comm’ nous on a les nôtres ;
Soit, il y a d’ la misère,
Reconnaissons, sincères,
C’est vrai que la famine
Ne suffit plus à l’enrayer,
Croyez qu’on s’en inquiète,
Voyez on fait des quêtes,
Quelques débats télévisés
Et le tour est joué :
Car rien qu’à r’luquer nos grimaces,
V’là qu’ils sont morts de rire…
 
Ohé, de la mapp’monde,
Y a-t-il encor’ du monde ?
Y a goldorak avec ses cornes
Qui se bat contre un type énorme
Qui r’ssemble à dieu,
Qui r’ssemble à dieu !
Ohé, de la mapp’monde,
Y a-t-il encor’ du monde ?
Mais la mapp’monde vogue, vogue,
Y a qu’ les vautours pour fair’ la ronde…
 
Et pourtant y a François,
Y a mon copain François
Tout au fond du Brésil,
Oh ! oui tu sais, François,
Souvent je pense à toi,
Est-c’ que tes évangiles
Ne sont pas trop fragiles
Tout au fond du Brésil !
 
Car là-bas
Quand la samba va tout va (ter)  
Et le reggae c’est gai           
Quand la samba va tout va (ter)  
Et le reggae c’est gai                 
Et la salsa c’est quoi ?
 
Ohé, de la mapp’monde,
Y a-t-il encor’ du monde ?
V’là qu’ les vautours se donn’nt la main,
Et les colombes se dout’nt de rien…
 
Tu sais, tu sais François,
Tes lettr’s font du dégât
Dans ma bonne conscience,
Moi, avec mes mille francs*
Plus les frais d’ déplac’ments
Pour mes petit’s séances,
Je me dis quelquefois,
Quand j’ me regarde droit,
Qu’ j’ai pas osé grand-chose,
Qu’ j’ai pas risqué beaucoup,
Dans ma vie y a des trous.
Mais toi, comment ça va ?
Dans quel état tu nous r’viendras
Et nous comment on s’ra,
François ?
 
Et nous comment on s’ra…
 
*tarif en 1981. En augmentation dès 1982…


printemps 81

11.
Je vis en négritude écouter un extrait

Paroles et musique Bernard Haillant
février 1980
 
Je vis en négritude
Dans un monde de blancs,
Je vends mes inquiétudes
Dans un monde d’argent,
Heureux comm’ d’habitude
Dans un monde de sang,
Je suis en solitude
Dans un troupeau de gens ;
 
Si je suis un voyeur
C’est que le monde est clos,
Et je suis un voleur
D’avoir ce qu’il me faut,
Et je suis un menteur
Quand je pèse mes mots,
Je suis lâche et j’ai peur
De devenir idiot ;
 
Pourtant faut vivre (bis)
Mais je n’y crois pas trop,
Je prends ça comm’ ça vient,
Mais je n’y crois pas trop
Sinon gare au chagrin !
 
J’ai si mal à mes mains
Qui ne se tendent pas,
J’ai si mal à tes poings
Qui se tendent déjà,
Mal à l’humanité,
Mal aux temps que voilà,
J’ai mal à l’amitié,
Mal à vous, mal à moi ;
 
J’ai mal à mes désirs,
J’ai mal à mes émois,
J’ai mal à mon plaisir,
À ton plaisir à toi,
J’ai si mal aux amours
Que je n’oserai pas,
Oui, mal à mes amours,
Mal à ma mort déjà…
 
Pourtant je chante (bis)
Mais n’y croyez pas trop,
Prenez ça comm’ ça vient,
Mais n’y croyez pas trop
Sinon gare au chagrin !
 
J’écris des mots obscurs,
J’écris des mots absents,
J’écris des mots qui eurent
Un sens en d’autres temps,
Des mots qui se figurent
Qu’ils franchiront le temps,
De pauvres mots qui durent
Ce que dure le vent ;
 
Un jour j’inventerai
Des mots chair, des mots sang,
Un jour j’enfanterai
Comme des oiseaux blancs,
Des mots pour t’envoler
Là-bas où l’on t’attend,
Des mots bons à croquer
Comme des joues d’enfants ;
 
Un jour j’aurai des mots
Qui respireront fort,
Un jour quand je dirai
Ton nom tu prendras corps,
Un jour je banderai
Un cri contre la mort,
Alors je te ferai
L’amour d’entre les morts
 
Pour que tu vives (bis)
Mais tu n’y crois pas trop,
Tu prends ça comm’ ça vient,
Mais tu n’y crois pas trop,
Nom de Dieu, quel chagrin !

 

12.
François et les autres 

Paroles et musique Bernard Haillant
printemps 1981
 
– Et pourtant y a François,
Y a mon copain François… –
 
Non, n’aie pas peur François,
J’ vais pas t’ laisser tout seul
Finir cett’ chanson-là ;
Non, j’ vais y faire entrer,
Dans un grand défilé,
Une longue litanie,
Entrer tous mes amis,
Les chaleurs de ma vie,
Les Yann, les Jean-Louis,
Les Chantal et Loïc,
Ceux qui du côté vie
Ont su mettre le prix,
Mais bien sûr tu connais Monique
Et voici Angélique ;
 
Allez viens donc, François,
Je vais t’ les présenter
Les Martine, les André,
Gérard et Maïté
Philippe-z-et Didier
Tous dans le mêm’ panier,
Myriam et Jean-Marie
C’est comm’ de la famille,
Et ceux de Tahiti
Et de Calédonie
Je veux vous embrasser
Dans ma chanson serrés,
Les yeux bridés,
Les noirs, les blancs,
Les Michèle et Christian ;
 
Tiens voilà mes frangines,
Gen’viève, Anne-Marie
Et toi Marie-Thérèse,
Pour un’ fois qu’ j’ pense à vous
Ne restez pas debout,
Prenez donc une chaise,
Ne croyez pas qu’ j’oublie
Vos môm’s et vos maris,
C’est fête, bon dieu, c’est fête,
Ne soyez plus inquiètes,
On s’rait tous fils de Dieu,
On s’rait tous amoureux,
Alors v’nez par ici
Françoise, Bernard, Brigitte et compagnie…
 
Entrez, entrez encore,
Ne restez pas dehors,
Prenez la grande porte,
Allez tous ceux que j’aime,
Fanny et Marie-Reine,
Marcel et Madeleine,
Allez tous les vieux cons,
Gaëtan ou Gaston,
Vous prendrez bien un vers
De mes petits couplets,
Et toi aussi maman,
Morte depuis longtemps,
Plus on est de fous plus on vit
Mais ce n’est pas fini…
 
Ohé, de la mapp’monde,
Y a-t-il encore du monde ?

N.B. Tous ces personnages existent. Aussi je les prie de bien vouloir m’excuser de les avoir cités sans autorisation aucune ! Je voudrais me faire pardonner également par tous ceux – et ils sont nombreux – qui auraient aimé figurer dans cette chanson et qui, en vain, y chercheront leur nom…