Crëche 

(Je chante / Discographies n°21, hiver 1996/97)

 

BERNARD HAILLANT.— Cela a commencé sur la Côte d'Azur en 68. Avec quelques copains et copines, nous faisions la manche dans le cadre d'une association qui s'occupait de travailleurs saisonniers. Par ce fait, nous étions logés dans un lieu d'accueil où étaient également hébergés les Collégiennes de la Chanson dont Mannick faisait partie. Cet ensemble angevin tournait dans la région varoise pour le compte d'un quotidien. Nous avons sympathisé par

 chansons interposées. Au cours de l'année suivante, j'ai chanté au Kremlin-Bicêtre, en première partie du chanteur noir John Littleton qui m'a dit avoir trouvé « tlé tlé bien » ma prestation. Pour l'été 1969, le Studio SM cherchait des artistes pour composer un plateau de première partie pour une tournée qu'il organisait autour de John Littleton. Mannick, qui était dans le coup, a parlé de moi. J'ai été convié à une réunion, en compagnie de toutes les personnes pressenties, à des titres divers, pour cette tournée estivale. Certains me tapaient sur les nerfs : Jo Akepsimas et surtout Gaétan de Courrèges qui est devenu malgré cela l'un de mes meilleurs amis.

Au lieu de faire chacun notre petit numéro, nous avons d'emblée décidé de faire une première partie construite en commun. Outre Mannick, Jo, Gaétan et moi, il y avait Jean Humenry avec son groupe, Les Étrangers. Nous nous accompagnions les uns les autres. Si cette tournée a été un gouffre financier, elle nous a permis de nous rencontrer. Et comme nous avions envie de continuer l'aventure ensemble, nous continuâmes ! C'est ainsi que je me suis retrouvé au Studio SM et que le groupe Crèche put démarrer et s'épanouir. Ce n'est que plus tard qu'il prit ce nom, nous n'en avions pas encore à l'époque, ou alors des appellations plus ou moins contrôlées...

Il y a eu deux périodes. La première a commencé officiellement en 1970. Cette première formule s'éteint en deux temps : fin 1973, Jo Akepsimas décide d'arrêter ce cirque, et l'été suivant, Jean Humenry quitte la galère — galère pourtant fort convenable et qui voguait de plus en plus vite et fort. À ce moment, nous eûmes l'idée de renflouer nos effectifs. Ayant déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de travailler avec Didier Desmas qui avait l'habitude de se produire en duo avec Charles Gancel, nous leur avons proposé de rejoindre le bord. Fut dit, fut fait. En septembre 1974 démarre la deuxième période, deuxième formule. En janvier 1975, nous étions prêts pour un spectacle à l'Olympia, comme des grands. Nous avions déjà foulé cette scène deux fois, invités par Maxime Le Forestier pour deux Musicorama spéciaux, durant la première période.

Cette deuxième période a duré jusqu'en novembre 1977, à l'issue d'une tournée au cours de laquelle nous avons fait tout ce que nous savions et pouvions faire : tout d'abord animer un stage, puis donner des tours de chants individuels ou en duo et, enfin, les merveilleux spectacles au complet. Tout cela à l'Île de la Réunion. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Jacqueline Farreyrol pour laquelle, plus tard, j'orchestrais trois disques 30 cm. Crèche, quant à lui, a fait paraître trois 30 cm, un de la première formule et deux de la seconde, dont le spectacle à l'Olympia.

Comme chacun d'entre nous, j'ai fait quelques disques pendant cette période. La dissolution du groupe Crèche est due à ce fonctionnement quasi-anarchique : les séances calendrier » étaient un cauchemar, vu les activités de chacun. Mon premier 33tours venait de paraître chez SM en janvier 1972 alors que je n'étais pas encore rentré de mon voyage dans le Pacifique.

Crèche a toujours eu un spectacle en deux parties, voire trois à la fin. Dans la première, chacun avait son mini-récital de chansons personnelles, accompagné ou non par les autres. La deuxième partie était globale, festive, drôle, folle, baroque, avec déguisements, maquillage, tumulte, prestidigitateur, etc... Cela prenait la forme d'une histoire, généralement tirée par les cheveux...

Le fait de se confronter à un groupe tel que le Crèche a été une formidable école, un stage longue durée, un atelier en situation réelle, sans filets. Il fallait aller au charbon ! En ce qui me concerne, je me suis beaucoup intéressé aux problèmes de scène, d'espace, aux éclairages, au son, puis à la construction du spectacle, les orchestrations, les équilibres. Très vite, nous avons conçu un montage diapos projeté sur le fond de scène, avec fondu-enchaîné, immense décor dans lequel nous pouvions évoluer. De fil en aiguille, l'élaboration de ce montage a fini par m'échoir exclusivement. Tout était prétexte à des mises et remises en cause incessantes et fructueuses, avec un regard sur le fond autant que sur la forme. Si ce groupe a été ce qu'il a été, cela tient de l'alchimie, de la sorcellerie. Ce fut expérimental en diable !

(Propos recueillis par D. R.)

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