«L'homme en couleur est parti tout à l'heure»... Tel fut par mail l'avis de décès de Bernard Haillant le 17 avril dernier. L'homme en couleur est le premier titre de son dernier CD (1), «coup de cœur» de l'Académie Charles Cros.

Les jeux de Bernard

Je suis peut-être la seule à avoir rencontré Bernard Haillant pour la première fois non sous le statut d’un chanteur mais d’un animateur d'atelier d’écriture au Printemps de Bourges. Cheveux en l'air et barbe inspirée il faisait écrire l'argument, les scènes et les dialogues d’un opéra en trois mouvements sur un collage de musiques du monde. Moi. je commençais à draguer les artistes capables d'animer ponctuellement des ateliers d'écriture imprévisibles. C'est ainsi qu'il fréquenta la Plume de l'oiseau fondé avec quel­ques fous aux ateliers de peinture Mac Avoy, au Marché de la poésie et au cabaret le Loup du Faubourg.

Auteur compositeur apprécié pour sa voix prenante et ses mélodies, il apporta un jour un poème qu'il chantonnait juste sur quelques notes. Ce­lui-ci fait partie d'un disque étonnant, où le genre chanson ne se distingue plus du poème ni de la musique contemporaine (Comme en scène, 1996. en compagnie du saxo­phoniste C. Georgel). Mais il faut surtout connaître les grands classiques de Bernard, ceux qui ont fait sa réputation de chanteur-poète totalement indépendant et d'une puissance unique. auteur de onze albums en solo depuis l’aventure du groupe Crëche. Enbdehors d'arrangements musicaux subtils pour Jacqueline Farreyol et Angélique lo­natos et de participa­tions vocales ici et là.

Un CD a rassemblé les meilleurs titres de sa discographie, dont le son est très actuel (Une oreille dans l'dos, chansons pa­rues entre 1972 et 1985. studio SM).

Dans cette compil, le nombre de merveilles est trop grand, alors n’en ci­tons que deux : L'Homme qui pleure et Dick le mélanésien pour son image d'être sensible et de curieux tous azimuts. qui passa du mysticisme au surréalisme à travers un formidable lyrisme humain.

 Chantal Grimm

(1) Prod. Le Loup du faubourg/ distr. Mélodie. 2001

Trouvailles

Rubrique « le Gradus sauvage », mode d’emploi des figures de style et petites formes fixes.

La « trouvaille » en poésie ou en littérature orale, c'est cette association de mots, ce petit bout de phrase qui fait que l'on sourit, que l'on s'attarde, que l'on ponctue malgré soi par un mmmh! - surtout si le jeu de mots n'est pas purement gratuit, si derrière la boutade esthétique se cache un brin de philosophie... Mais la «perle» au coin du vers ou du verre, peut-elle s'analyser?

c'est en enterrant mon ami poète et chanteur Bernard Haillant, devenu de plus en plus clown et jongleur de mots au fur et à mesure que sa maladie gagnait du terrain, que je me suis posé la question : peut-on expliquer une trouvaille?

Il n'y a qu'une réponse (de Normand) possible : parfois ça s'analyse et le processus peut même se reconstituer, et parfois la magie reste indéchiffrable.

Comme on ne peut pas faire de fiches ­recettes de tout, on va traiter du sujet de la trouvaille en se contentant de deux observations.

D'abord, la trouvaille peut surgir d'un glis­sement de l'expression vers un équivalent sonore où s'introduit un changement phoné­tique minimum qui en chamboule le sens. Autrement dit, c'est un à-peu-près poétique et humoristique. Exemple

J'en perds les pétales, dit la fleur (Prévert) L'origine de cette trouvaille-ci est claire l'expression imagée j'en perds les pédales. Un seul phonème qui diffère (le /d/ devenu /t/) et la bicyclette capote en faveur de la botanique : le résultat suggère une sentence florale de Lewis Carrol dans le jardin d'Alice, sans pour autant gommer l'idée de malaise. À nous les dictionnaires d'expressions imagées!

Mais peut-être pas trop vite : qui sait si ce n'est pas un saut vers la prothèse facile de l'outil obligatoire? Car la phrase la plus courante peut aussi donner des trouvailles.

Comme le très vieux verger qui garde ses boutons dans le poème ci-contre de Bernard Haillant. Il y a seulement deux phonèmes de changés par rapport au berger qui garde ses moutons: un /b/ devenu /v/, un /m/ devenu /b/ et le tour est joué!

Facile à dire...

C'est peut-être l'économie même du chan­gement qui entraîne notre sourire : la vraie trouvaille viendrait d'un glissement à peine perceptible...

Un seul phonème changé (le /u/ devenu /i/) et le troisième âge se fait farceur avec des grand’mères... vêtues de joyeux man­teaux de fou-rires (fourrures / fou-rires com­muns d'ailleurs à Prévert et à Haillant).

Ce dernier exemple dénote que l'orthogra­phe ne compte pas. Seule la phonétique, ha­bitude de la tradition orale, sous-tend le jeu de mots. Parfois l'absence de similitude or­thographique peut même nous faire passer à

côté d'une perte authentique, si l'on ne prend pas la peine de prononcer le texte tout haut, comme dans le jour de marché (=marcher) pour les impotents.

Deuxième observation: la trouvaille poéti­que est aussi très souvent basée sur l'ANTANACLASE ou DOUBLE-SENS (cf. « Gradus Sauvage - E&E 27). À titre de rappel : cette figure de style consiste à employer un même mot dans deux sens à la fois. Tout comme l’À-PEU-PRÈS, elle peut engendrer le pire calembour comme le plus fin surréalisme.

Chez Bernard Haillant, un dossier brûlant quitte sa chemise, les oeufs peuvent monter à la neige sons être battus, les crayons se taillent des mines superbes et on boit les canons (c'est de bonne guerre) !

Faites aussi la collection de double-sens et d'à-peu-près, mais surtout laissez-vous porter par la poésie de certains... Et vous verrez peut-être vos plumes s'envoler!

Chantal Grimm

© Chantal Grimm - revue Editer & Ecrire, août septembre 2002

Reproduit avec l'autorisation de l'auteur