Bernard HAILLANT, DES MOTS CHAIR, DES MOTS SANG

Quand je serai heureux, vraiment heureux, / Ce sont des chansons comme celle-ci que je vous offrirai...

Ainsi commence le nouveau disque de Bernard Haillant, le cinquième 30 cm et le second en autoproduction complète. Bernard Haillant que nous pré­senterons un jour ou l'autre en prenant l'espace nécessaire au rafraîchissement de nos mémoires : son premier 45 tours ne remonte-t-il pas à 1964 ?!

Fondateur du groupe Crëche en 69 (avec Mannick, Jean Humenry, Gaëtan de Courrèges et Jo Akepsimas), avec lequel il chantera quelques années, il se partagera ensuite entre les orchestrations de dis­ques d'autres chanteurs Jacqueline Farreyrol, Angélique lonatos...) et sa propre carrière d'auteur-compositeur-interprète,

"Des mots chair, des mots sang" est, à mon avis, le plus fort, le plus accompli de ses disques. Il est l'expression d'un bonheur fondé sur un contact charnel avec la terre, les autres et les mots, mais sans cesse confronté au déchirement, à la mort, au doute fondamental d'un homme qui "gueule, pour que la liberté soit enfin libérée". Est-ce l'aboutissement (annoncé dans le texte de présentation du disque à la presse) d'une recherche musicale et poétique ? J'y verrais plutôt une étape essentielle dans la longue quête personnelle d' Haillant, et la concrétisation de promesses contenues depuis longtemps dans son œuvre. Car il nous annonce d'autres mots à venir, des mots musique, parfum, odeur, couleur, bonheur, des mots "bouche à bouche".

Pour le moment, dit-il dans un texte superbe sur la parole qui chapeaute l'album. "mes mots sont ordinaires / Ils sont tout droits sortis du dictionnaire / Et quant au bonheur...".

D'une voix un peu râpeuse, terriblement émotionnelle, qui écorche ces mots chair, ces mots sang, qui nous fouaillent la poitrine bien qu' "ordinaires", Bernard Haillant s'adresse directement au cœur. Tendresse, amour, amitié, mais aussi doute et solitude.

Je vis en négritude / Dans un monde de blancs / Je vends mes inquiétudes / Dans un monde d'argent / Heureux comm' d'habitude / Dans un monde de sang / Je suis en solitude / Dans un troupeau de gens.

Tout cela sur des musiques qui s'insinuent au plus profond de l'être, une orchestration merveilleusement légère et pourtant très dense (guitares, contrebasse, drums-percussions, violons, alto, violoncelle, clarinette, trompette, trombone, tuba...), des arrangements signés Haillant, évidemment, mais aussi Bernard Gérard, Patrice Caratini, Marc Fosset !

Qu'on ne s'y trompe pas : un véritable poète est né, chaviré par la ronde folle de la mappemonde, meurtri par des mains qui ne se tendent pas et des poings qui se tendent déjà. Un homme tout simplement qui a mal à l'humanité, mal aux temps que voilà : "J'ai mal a l'amitié / Mal à vous, mal à moi". Il chante cependant, pour lancer un appel déchirant ('Ohé, de la mapp'monde / Y a-t-il encore du monde ?"), mais en prenant bien garde d'annoncer la couleur :

Prenez ca comm' ca vient. / Mais n'y croyez pas trop / Sinon gare au chagrin !

Fred HIDALGO

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